Merci à ces chercheurs, scientifiques et universitaires de nous traduire concrètement ce que veulent nous faire croire ces publicités et annonces quant aux objectifs zéro émission CO2 des plus grands pollueurs !
Je vous mets le texte complet ici même car il n'est accessible qu'en échange d'un paiement en monétaire ou en vie privée alors qu'il ne s'agit pas d'une création du Monde (cf "Si c'est gratuit, c'est toi qui produis").
« Paroles de lecteurs » - Le zéro carbone et l’infinie voracité du transport aérien
Jean-Marc Bonneville, chercheur au Laboratoire d’écologie alpine de Grenoble, et des scientifiques et universitaires des campus de Grenoble et Toulouse réagissent à une publicité parue dans « Le Monde » dont ils estiment qu’elle « contribue à obscurcir le débat sur les scénarios soutenables du transport aérien ».
Le 2 novembre, vous avez publié en pleine page une publicité d’EasyJet annonçant l’ambition d’utiliser d’ici 2050 des « avions dont les vols permettront zéro émission de CO2 ». Nous protestons ici contre la publication de cette publicité, manifestement mensongère, qui contribue à obscurcir le débat sur les scénarios soutenables du transport aérien. La création de tels avions reste hautement improbable, pour des raisons de physique de base et de ressources énergétiques.
Rappelons en préambule que le CO2 émis par les avions ne représente que la moitié environ de la contribution de l’aviation au réchauffement planétaire, et intéressons-nous à ce seul CO2. Un Airbus A380 rempli décolle avec 615 passagers. A plein, il pèse 575 tonnes dont 256 tonnes de kérosène, soit 44 % de son poids. Il est souvent difficile d’accéder aux chiffres précis sur le bilan carbone de l’aviation, et plus encore à leur signification, mais examinons les modes de propulsion alternatifs au kérosène et leurs conséquences a minima.
Peut-on remplacer le kérosène par des batteries ? Les meilleures batteries électriques du moment offrent une densité énergétique largement moindre (1 kWh/kg serait un bond technique) que celle du kérosène (12,8 kWh/kg). Le poids en batteries qu’il faudrait embarquer, de nos jours, pour remplacer le kérosène dépasse donc largement le poids d’un avion gros porteur électrique et le cloue donc au sol.
Le scénario actuellement envisageable techniquement considère des aéronefs à batteries pouvant emporter un maximum de 100 passagers sur 1 000 kilomètres d’ici 2030. Outre le fait que l’intérêt du transport aérien sur de courtes distances est douteux, il faudrait encore que l’électricité consommée par des avions à propulsion électrique provienne d’une source neutre en carbone. Un kilo de kérosène brûlé produit 3,83 kg de CO2.
En France métropolitaine, où la situation est pourtant très favorable en comparaison avec d’autres pays, son équivalent énergétique d’origine électrique (12,8 kWh) représente encore 0,77 kg de CO2 émis, soit 19 %. L’empreinte carbone d’un avion à batterie représenterait donc, au mieux, 19 % de celle d’un avion actuel, et non pas 0 %. L’avion gros porteur à batteries, challenge technologique majeur, sera donc bien loin d’être neutre en carbone.
Si on ne peut pas embarquer l’énergie nécessaire dans des batteries, peut-on utiliser l’hydrogène ? Ce gaz pourrait demander un réservoir plus lourd, mais présente une densité énergétique très favorable, proche du triple de celle du kérosène. Le point clé ici est que son utilisation comme carburant propre est un miroir aux alouettes. L’hydrogène, comme l’électricité, est un vecteur énergétique et non une source d’énergie.
L’hydrogène produit actuellement provient à 95 % de composés carbonés d’origine fossile, procédé donc ici évidemment disqualifié. La production d’hydrogène vert demande de l’électricité, pour l’électrolyse, la liquéfaction et le transport, de sorte que 1 kWh d’hydrogène demande 1,8 kWh électriques (Negatep, collectif Sauvons le Climat, éditions Les Unpertinents, 2021, figure 12). Ce facteur alourdira d’autant le bilan carbone d’une propulsion basée sur la combustion d’hydrogène, qui in fine est une consommation électrique.
Pour situer les ordres de grandeur, les aéroports commerciaux distribuent actuellement un total de plus de 33 000 tonnes par heure. En supposant le rendement énergétique de l’hydrogène dans un réacteur d’avion égal à celui du kérosène, l’alimentation de la flotte aérienne mondiale actuelle nécessiterait une bande de panneaux photovoltaïques d’une douzaine de kilomètres de large traversant le Sahara d’est en ouest ou plusieurs centaines de réacteurs nucléaires EPR, dont six ou sept pour alimenter le seul aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle. Qui peut croire que l’on pourra construire autant d’infrastructures pour le seul secteur du transport aérien ? Et à nouveau, ces énergies sont bas carbone, pas zéro carbone.
A défaut d’électricité, pourrait-on avoir recours aux biocarburants ? L’humanité brûle, pour faire voler ses avions, 290 millions de tonnes par an. Dans le même temps, elle produit 44 millions tonnes équivalent pétrole (TEP) de bioéthanol et 19 millions TEP de biodiesel. Cette production, brûlée au sol, ne représente pas le dixième des carburants utilisés. Alimenter la flotte aérienne par agrocarburants est donc parfaitement chimérique, d’autant que la production de ces agrocarburants est loin d’être neutre en carbone - de fait, le remède pourrait même être pire que le mal !
Serait-ce de compensation carbone qu’il faut comprendre que l’on nous parle ? Planter de nouvelles forêts cache le plus souvent un dispositif de contournement des efforts intrinsèquement nécessaires de décarbonation, dispositif variable au cours du temps, sans fiabilité sur la durée (incendies, etc.) et extrêmement préoccupant sur l’usage mondial des sols. Le trafic aérien en France envoie en l’air 22 millions de tonnes de CO2 par an. L’ensemble des forêts françaises (170 000 km2) fixe un total estimé à 51 millions de tonnes par an. Compenser l’intégralité des émissions actuelles de l’aviation demanderait donc d’augmenter a minima de 44% la surface actuelle de nos forêts, soit l’équivalent de 13 de nos 96 départements de métropole. Par lequel commencerait-on ?
Pour en savoir plus sur ses projets, EasyJet proposait un lien sur sa page de publicité. Ce lien n’est hélas plus actif, mais consulté le 3 novembre, il montrait le recyclage des bouteilles plastiques consommées à bord en uniformes d’équipage. On ne saurait mieux illustrer le pathétique de l’ambition affichée, intenable et dilatoire...
Monsieur le rédacteur en chef, est-ce que ce Monde est sérieux ? A l’heure actuelle, nous brûlons allègrement la planète par les deux bouts. Prendre à bras le corps le problème climatique implique une baisse drastique des émissions nettes mondiales de CO2 . La trajectoire qui permet de contenir le réchauffement climatique à 1,5°C nécessite de viser la neutralité carbone (émissions nettes zéro) d’ici 2050, ce qui implique de diviser par deux nos émissions tous les dix ans.
Pour limiter le réchauffement à +2ºC, il faut une neutralité carbone à l’horizon 2080, soit une réduction des émissions de moitié tous les vingt ans (voir les scénarios du GIEC, SSP1-1.9 et SSP1-2.6, figure SPM.4). Or ce genre de publicité conforte le lecteur dans l’idée qu’il est possible d’attendre 2050 que la technologie et les entreprises vertueuses nous tirent d’affaire. Ce greenwashing sape votre travail d’information sur les enjeux de l’action climatique !
Jean-Marc Bonneville, Etienne-Pascal Journet, Geremy Panthou, Philippe Roche, Benoit Hingray, Françoise Berthoud, Mathieu Fructus, Elise Lorenceau, Maurine Montagnat, Nicolas Gratiot, Florence Maraninchi, Adrien Bidaud, Géraldine Sarret, Franck Delbart et Julian Carrey